A
la base du problème se trouve la plus-value, la part de la valeur
ajoutée qui n’est pas payée. Marx s’est cassé les dents sur la
question. Son schéma fonctionnait tant qu’il n’y avait pas
d’accumulation du capital, mais ça coinçait dès que la
plus-value s’investissait. Il a fallu attendre Rosa Luxemburg pour
résoudre la question, et démontrer que ça ne marche pas (1). Pour
investir de la plus-value, tout en maintenant l’équilibre de
l’offre et de la demande pour les deux départements de production
(investissements et consommation), il faut un apport extérieur. Au
début du XXème siècle cet apport vient du pillage colonialiste,
les ressources naturelles, le travail conscrit et l’accaparement
des terres. Bien qu’il se contracte et que la concurrence s’est
élargie, il reste nécessaire encore aujourd’hui. Il a juste
changé de forme.
La
plus-value c’est le profit d’entreprise et commercial, c’est le
loyer d’un bien dont la valeur a été restituée depuis longtemps,
et c’est l’intérêt qui est le prix de la dette. La plus-value
c’est le supplément que doit fournir le marché, qui fait que tous
les vendeurs obtiennent plus qu’ils n’ont dépensé. Néanmoins,
comme pour les départements de production, il y a deux genres de
vendeurs, ceux qui vendent des investissements et ceux qui vendent de
la consommation. Les premiers peuvent s’échanger leurs plus-values
et les accumuler, en s’entendant sur du troc ou en s’accordant
mutuellement du crédit. Mais lequel échangerait ainsi de
l’investissement propice à l’accumulation contre de la
consommation qui ne l’est pas. Le département dévoué à la
consommation ne peut pas accumuler sa plus-value, et doit l’échanger
contre quelque chose qui puisse l’être.
La
consommation doit se transformer en investissement, et ce qui n’est
pas possible sur le marché intérieur peut l’être sur le marché
extérieur. Des armes peuvent s’échanger contre des matières
premières, du pétrole, de l’uranium ou du cacao, ou des vêtements
contre des machines et des brevets. Mais la concurrence entre pays
industrialisés est rude. Tous ont de la consommation à vendre, et
tous veulent accroître leurs investissements. L’autre solution,
c’est le crédit à la consommation. Les foyers, les collectivités
et les gouvernements s’endettent et augmentent leur consommation.
Cette consommation accrue provoque une croissance générale de la
production et des investissements. Malheureusement, à l’encontre
de la dette investie, la dette consommée part dans une spirale
insoutenable.
Une
dette investie est restituée à terme avec un profit ou de
l’intérêt. Si la dette est renouvelée, l’investissement l’est
aussi. Ce qui fait que la dette s’accroît au même rythme que
l’investissement. Une dette consommée n’est pas restituée. Son
renouvellement n’est qu’une forme de remboursement, qui ne
renouvelle pas la consommation. Pour que la consommation
supplémentaire de la première dette se renouvelle, il en faut
une seconde. Ce qui fait que la dette augmente beaucoup plus vite que
la consommation. Cette croissance disproportionnée de la dette se
détache des réalités de la valeur produite. Elle doit ratisser de
plus en plus large et s’expose à des faillites en masse.
Pour
fonctionner, l’accumulation de plus-value a besoin de pillage (de
commerce non-équitable) et de dette. N’y a-t-il pas une autre
façon de faire qui éviterait ces désagréments? Une solution
consiste à supprimer la plus-value du second département
(consommation), et à investir la plus-value du premier département
(investissements) uniquement dans ce département. Des aciéries
servent à construire des aciéries, et des usines à béton servent
à construire des usines à béton. Les investissements augmentent
mais la consommation stagne ou recule. C’est ce qu’ont tenté
l’URSS et la Chine, avec des succès plutôt mitigés. Une autre
possibilité serait de supprimer toute la plus-value, pour que le
travail reçoive toute la valeur ajoutée. La croissance de
l’investissement se financerait à crédit, et le crédit se
renouvellerait sans intérêt. Mais ce crédit ne dépendrait pas de
la bienveillance d’une banque. Il serait accordé par l’ensemble
de la communauté, possesseur de la richesse produite et garant de la
création monétaire, ce qui donnerait un regard sur où et comment
se fait la production de quoi.
Le
dogme affirme que sans l’accumulation de richesses personnelles il
n’y aurait pas d’entrepreneurs, pas d’inventivité, pas de
développement technologique et pas d’emplois. En réalité
beaucoup d’entrepreneurs sont les salariés d’actionnaires et
peuvent se faire renvoyer, et rappeler (Steve Jobs). Même les
meilleurs n’ont pas besoin de posséder pour être efficace. Il
leur suffit d’être bien payé, comme certains acteurs et sportifs.
Le dogme couvre la réalité d’une classe possédante qui pratique
la cooptation et qui estime que la société est à son service. Un
service mercenaire qui se paye au prix du marché. La propriété
privée du capital tend à se concentrer, seules les guerres et les
révolutions l’éparpillent provisoirement. Cette concentration
mène à des sommets puis s’effondre. D’après Piketty, le
précédant à la concentration actuelle se situe au début du
vingtième siècle. Et récemment quelqu’un a estimé que les
soixante-deux personnes les plus riches de la planète possédaient
autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité. Un rapport de
plus que un à cinquante millions. Il y a cent ans, la Belle Époque
cédait la place à la guerre de 14-18. A présent, le nouveau pic
semble indépassable et laisse présager un déclin. Les prémices de
violences à venir se voient au Proche et Moyen Orient, en Afrique,
dans les quartiers pauvres des grandes villes, et dans la réception
faite aux réfugiés de guerre. La richesse des nations et le pouvoir
qui en découle se sont concentrés en si peu de mains qu’une
pichenette les balayerait. Mais ces quelques mains sont aux commandes
d’une structure faite de millions de clients redevables, de
salaries, pensionnés, retraités, de gens armés jusqu’aux dents,
avec des munitions de destruction massive. Puis que cette minorité a
recours au chauvinisme pour flatter ses fidèles, les conflits entre
nations sont permanents. Mais la plupart du temps ce ne sont
qu’affrontements de paroles démagogiques pour la galerie. Comme
les monarchies du passé, les nouvelles minorités possédantes ont
des intérêts communs qui favorisent l’entente. Et le potentiel de
destruction incommensurable des ogives nucléaires met un frein aux
velléités belliqueuses. Néanmoins, si la finance s’effondre elle
entraîne le reste, et un pouvoir aux abois est imprévisible. Il
peut propulserer le monde dans l’anéantissement.
L’édition
papier en Français est introuvable. L’accumulation du Capital
est en trois parties, dont la deuxième est de moindre intérêt.