Sunday, October 02, 2016

Ça ne marche pas


A la base du problème se trouve la plus-value, la part de la valeur ajoutée qui n’est pas payée. Marx s’est cassé les dents sur la question. Son schéma fonctionnait tant qu’il n’y avait pas d’accumulation du capital, mais ça coinçait dès que la plus-value s’investissait. Il a fallu attendre Rosa Luxemburg pour résoudre la question, et démontrer que ça ne marche pas (1). Pour investir de la plus-value, tout en maintenant l’équilibre de l’offre et de la demande pour les deux départements de production (investissements et consommation), il faut un apport extérieur. Au début du XXème siècle cet apport vient du pillage colonialiste, les ressources naturelles, le travail conscrit et l’accaparement des terres. Bien qu’il se contracte et que la concurrence s’est élargie, il reste nécessaire encore aujourd’hui. Il a juste changé de forme.

La plus-value c’est le profit d’entreprise et commercial, c’est le loyer d’un bien dont la valeur a été restituée depuis longtemps, et c’est l’intérêt qui est le prix de la dette. La plus-value c’est le supplément que doit fournir le marché, qui fait que tous les vendeurs obtiennent plus qu’ils n’ont dépensé. Néanmoins, comme pour les départements de production, il y a deux genres de vendeurs, ceux qui vendent des investissements et ceux qui vendent de la consommation. Les premiers peuvent s’échanger leurs plus-values et les accumuler, en s’entendant sur du troc ou en s’accordant mutuellement du crédit. Mais lequel échangerait ainsi de l’investissement propice à l’accumulation contre de la consommation qui ne l’est pas. Le département dévoué à la consommation ne peut pas accumuler sa plus-value, et doit l’échanger contre quelque chose qui puisse l’être.

La consommation doit se transformer en investissement, et ce qui n’est pas possible sur le marché intérieur peut l’être sur le marché extérieur. Des armes peuvent s’échanger contre des matières premières, du pétrole, de l’uranium ou du cacao, ou des vêtements contre des machines et des brevets. Mais la concurrence entre pays industrialisés est rude. Tous ont de la consommation à vendre, et tous veulent accroître leurs investissements. L’autre solution, c’est le crédit à la consommation. Les foyers, les collectivités et les gouvernements s’endettent et augmentent leur consommation. Cette consommation accrue provoque une croissance générale de la production et des investissements. Malheureusement, à l’encontre de la dette investie, la dette consommée part dans une spirale insoutenable.

Une dette investie est restituée à terme avec un profit ou de l’intérêt. Si la dette est renouvelée, l’investissement l’est aussi. Ce qui fait que la dette s’accroît au même rythme que l’investissement. Une dette consommée n’est pas restituée. Son renouvellement n’est qu’une forme de remboursement, qui ne renouvelle pas la consommation. Pour que la consommation supplémentaire de la première dette  se renouvelle, il en faut une seconde. Ce qui fait que la dette augmente beaucoup plus vite que la consommation. Cette croissance disproportionnée de la dette se détache des réalités de la valeur produite. Elle doit ratisser de plus en plus large et s’expose à des faillites en masse.

Pour fonctionner, l’accumulation de plus-value a besoin de pillage (de commerce non-équitable) et de dette. N’y a-t-il pas une autre façon de faire qui éviterait ces désagréments? Une solution consiste à supprimer la plus-value du second département (consommation), et à investir la plus-value du premier département (investissements) uniquement dans ce département. Des aciéries servent à construire des aciéries, et des usines à béton servent à construire des usines à béton. Les investissements augmentent mais la consommation stagne ou recule. C’est ce qu’ont tenté l’URSS et la Chine, avec des succès plutôt mitigés. Une autre possibilité serait de supprimer toute la plus-value, pour que le travail reçoive toute la valeur ajoutée. La croissance de l’investissement se financerait à crédit, et le crédit se renouvellerait sans intérêt. Mais ce crédit ne dépendrait pas de la bienveillance d’une banque. Il serait accordé par l’ensemble de la communauté, possesseur de la richesse produite et garant de la création monétaire, ce qui donnerait un regard sur où et comment se fait la production de quoi.

Le dogme affirme que sans l’accumulation de richesses personnelles il n’y aurait pas d’entrepreneurs, pas d’inventivité, pas de développement technologique et pas d’emplois. En réalité beaucoup d’entrepreneurs sont les salariés d’actionnaires et peuvent se faire renvoyer, et rappeler (Steve Jobs). Même les meilleurs n’ont pas besoin de posséder pour être efficace. Il leur suffit d’être bien payé, comme certains acteurs et sportifs. Le dogme couvre la réalité d’une classe possédante qui pratique la cooptation et qui estime que la société est à son service. Un service mercenaire qui se paye au prix du marché. La propriété privée du capital tend à se concentrer, seules les guerres et les révolutions l’éparpillent provisoirement. Cette concentration mène à des sommets puis s’effondre. D’après Piketty, le précédant à la concentration actuelle se situe au début du vingtième siècle. Et récemment quelqu’un a estimé que les soixante-deux personnes les plus riches de la planète possédaient autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité. Un rapport de plus que un à cinquante millions. Il y a cent ans, la Belle Époque cédait la place à la guerre de 14-18. A présent, le nouveau pic semble indépassable et laisse présager un déclin. Les prémices de violences à venir se voient au Proche et Moyen Orient, en Afrique, dans les quartiers pauvres des grandes villes, et dans la réception faite aux réfugiés de guerre. La richesse des nations et le pouvoir qui en découle se sont concentrés en si peu de mains qu’une pichenette les balayerait. Mais ces quelques mains sont aux commandes d’une structure faite de millions de clients redevables, de salaries, pensionnés, retraités, de gens armés jusqu’aux dents, avec des munitions de destruction massive. Puis que cette minorité a recours au chauvinisme pour flatter ses fidèles, les conflits entre nations sont permanents. Mais la plupart du temps ce ne sont qu’affrontements de paroles démagogiques pour la galerie. Comme les monarchies du passé, les nouvelles minorités possédantes ont des intérêts communs qui favorisent l’entente. Et le potentiel de destruction incommensurable des ogives nucléaires met un frein aux velléités belliqueuses. Néanmoins, si la finance s’effondre elle entraîne le reste, et un pouvoir aux abois est imprévisible. Il peut propulserer le monde dans l’anéantissement.

L’édition papier en Français est introuvable. L’accumulation du Capital est en trois parties, dont la deuxième est de moindre intérêt.

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