Les limites de la croissance
En
moyenne sur un siècle – avec une contre-performance dans les
années 30 et une sur-performance dans les années 50 – le PIB
mondial s’est accru de 4% par an et a doublé tous les vingt ans.
Pour le dernier doublement, 1990 – 2010, il a fallu que le Brésil,
la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud (suivis de près
par l’Indonésie et le Nigeria) aient des taux de croissance à
deux chiffres. Ce qui fait qu’un nouveau doublement d’ici 2030
n’est pas concevable – où se produirait-il, en Inde, en Afrique?
Par quels moyens? – et la croissance promise par les politiciens,
les banquiers, les industriels et les idéologues n’aura pas lieu.
Ils font ce vœu pieux sachant que, sans croissance conséquente, le
capitalisme du profit, de l’intérêt et de l’accumulation
s’effondre. Un capitalisme qui surnage depuis cinq ans grâce aux
créations monétaires des banques centrales proches de l’épuisement.
L’Histoire
pointera peut-être le Brexit comme déclencheur, mais l’effondrement
en cours du capitalisme est la conséquence de ses propres
contradictions fondamentales. D’où vient la valeur qui paye le
profit et l’intérêt? Comment se fait-il que tous les marchands
reviennent du marché avec plus de valeur qu’ils n’y avaient
apporté? D’où vient ce supplément? Rosa Luxemburg a posé cette
question il y a cent ans (1), et a conclu que le supplément était
fourni par le pillage colonial des ressources, des terres et du
travail de la planète. Cela reste vrai aujourd’hui, mais il y a
plus de pilleurs à se partager le monde. Devenu insuffisant, ce
supplément impérial a été suppléé par un endettement
généralisé. Mais les dettes s’accumulent et atteignent des
paliers où elles s’autoalimentent sans retombées pour la
consommation de biens et de services, des dettes pour payer des
dettes. Cette situation s’est résolue dans le passé par de fortes
fièvres inflationnistes. Qu’en sera-t-il demain, après la peste
(déflation) le choléra (inflation)?
Quant
à la reprise de la croissance, promise et attendue, elle dépend de
la dette qui permet l’accumulation des profits et intérêts. Elle
rencontre donc un double obstacle, celui de l’incapacité
d’absorption de l’écosystème Terre, et celui d’un endettement
qui sert à renouveler la dette existante plutôt que d’accroître
la demande des consommateurs. La dette est supposée alimenter la
demande qui paye les profits. Quand cela s’arrête, les profits
doivent se prendre à la concurrence, nationale et internationale.
Les entreprises jouent leurs survies dans un monde impitoyable, et la
violence financière finit par tout imprégner.
Le
capitalisme, dans sa quête de profits et d’accumulation, nous mène
à nouveau vers la barbarie destructive si chère à Schumpeter. Mais
le recul pour mieux sauter devra être bien plus radical que celui de
1930-1945. Alors il s’agissait de remplacer le charbon par le
pétrole comme source principale de carburent et de produits dérivés.
Alors que demain il faudra se passer des deux, et que ni le nucléaire
ni les renouvelables sont capables de prendre le relais. En 1945 le
monde s’éveillait au moteur à combustion – le petit deux-temps
au bout d’un outil, le gros diesel sur un engin de chantier et
l’énorme turbine d’un avion de ligne – de la puissance
partout, à volonté et peu chère. Cela a permis une exploitation
accrue des ressources de la planète, et a produit des résidus de
plus en plus destructeurs des équilibres, sur terre, dans les océans
et dans l’atmosphère. A présent que le point de non-retour semble
atteint – voir les fuites massives de méthane tout autour du
Cercle Arctique – et que les émissions humaines ne cessent de
croître, une dégradation soudaine et sévère des conditions de vie
va se produire dans un proche avenir (2). En fait, le seul suspense
c’est lequel de la finance ou de l’écosystème va s’écrouler
le premier.
1.
L'Accumulation du Capital
2.
Limits to Growth, World3-03
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