Sunday, July 03, 2016

Les limites de la croissance


En moyenne sur un siècle – avec une contre-performance dans les années 30 et une sur-performance dans les années 50 – le PIB mondial s’est accru de 4% par an et a doublé tous les vingt ans. Pour le dernier doublement, 1990 – 2010, il a fallu que le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud (suivis de près par l’Indonésie et le Nigeria) aient des taux de croissance à deux chiffres. Ce qui fait qu’un nouveau doublement d’ici 2030 n’est pas concevable – où se produirait-il, en Inde, en Afrique? Par quels moyens? – et la croissance promise par les politiciens, les banquiers, les industriels et les idéologues n’aura pas lieu. Ils font ce vœu pieux sachant que, sans croissance conséquente, le capitalisme du profit, de l’intérêt et de l’accumulation s’effondre. Un capitalisme qui surnage depuis cinq ans grâce aux créations monétaires des banques centrales proches de l’épuisement.

L’Histoire pointera peut-être le Brexit comme déclencheur, mais l’effondrement en cours du capitalisme est la conséquence de ses propres contradictions fondamentales. D’où vient la valeur qui paye le profit et l’intérêt? Comment se fait-il que tous les marchands reviennent du marché avec plus de valeur qu’ils n’y avaient apporté? D’où vient ce supplément? Rosa Luxemburg a posé cette question il y a cent ans (1), et a conclu que le supplément était fourni par le pillage colonial des ressources, des terres et du travail de la planète. Cela reste vrai aujourd’hui, mais il y a plus de pilleurs à se partager le monde. Devenu insuffisant, ce supplément impérial a été suppléé par un endettement généralisé. Mais les dettes s’accumulent et atteignent des paliers où elles s’autoalimentent sans retombées pour la consommation de biens et de services, des dettes pour payer des dettes. Cette situation s’est résolue dans le passé par de fortes fièvres inflationnistes. Qu’en sera-t-il demain, après la peste (déflation) le choléra (inflation)?

Quant à la reprise de la croissance, promise et attendue, elle dépend de la dette qui permet l’accumulation des profits et intérêts. Elle rencontre donc un double obstacle, celui de l’incapacité d’absorption de l’écosystème Terre, et celui d’un endettement qui sert à renouveler la dette existante plutôt que d’accroître la demande des consommateurs. La dette est supposée alimenter la demande qui paye les profits. Quand cela s’arrête, les profits doivent se prendre à la concurrence, nationale et internationale. Les entreprises jouent leurs survies dans un monde impitoyable, et la violence financière finit par tout imprégner.

Le capitalisme, dans sa quête de profits et d’accumulation, nous mène à nouveau vers la barbarie destructive si chère à Schumpeter. Mais le recul pour mieux sauter devra être bien plus radical que celui de 1930-1945. Alors il s’agissait de remplacer le charbon par le pétrole comme source principale de carburent et de produits dérivés. Alors que demain il faudra se passer des deux, et que ni le nucléaire ni les renouvelables sont capables de prendre le relais. En 1945 le monde s’éveillait au moteur à combustion – le petit deux-temps au bout d’un outil, le gros diesel sur un engin de chantier et l’énorme turbine d’un avion de ligne – de la puissance partout, à volonté et peu chère. Cela a permis une exploitation accrue des ressources de la planète, et a produit des résidus de plus en plus destructeurs des équilibres, sur terre, dans les océans et dans l’atmosphère. A présent que le point de non-retour semble atteint – voir les fuites massives de méthane tout autour du Cercle Arctique – et que les émissions humaines ne cessent de croître, une dégradation soudaine et sévère des conditions de vie va se produire dans un proche avenir (2). En fait, le seul suspense c’est lequel de la finance ou de l’écosystème va s’écrouler le premier.

1. L'Accumulation du Capital
2. Limits to Growth, World3-03

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