Dix ans après
Les
prévisionnistes se trompent souvent. L’avenir est incertain, et
cette incertitude s’accroît lorsque le futur prédit est lointain.
Il semble que les océans se réchauffent bien plus vite que prévu,
notamment dans les régions polaires. Du coup les prédictions
concernant la fin du siècle se produiront dans une ou deux
décennies, et leur nature exacte reste imprécise. (Un dernier
rapport repousse dans le temps la limite des 1,5°c, sans dire qu’un
tel réchauffement est peut-être plus grave que prévu). A la
décharge des climatologues il y a le fait qu’ils essayent de
comprendre une modification sans précédents, qui résulte de la
restitution à l’atmosphère du carbone fossile. Les économistes
sont aussi confrontés à l’inhabituelle, avec des banques
centrales qui rachètent des obligations en grandes quantités. Un
afflux de dioxyde de carbone modifie la composition de l’atmosphère
et la température des océans, tout comme un afflux d’argent
liquide modifie les comportements du marché.
Des
cycles économiques ont toujours existé, déjà dans la Bible les
vaches maigres succédaient aux vaches grasses. Croissance et
récession se suivent. Au XIXe siècle Marx a remarqué ces
phénomènes répétitifs et Juglar les a étudiés, suivi par
d’autres au XXe siècle (Kitchin, Kuznets, Kondratiev), avant que
Schumpeter ne tente une synthèse en 1939. Concernant les cent
cinquante dernières années, la périodicité d’environs dix ans
semble la mieux documentée à cause de sa constance.
La
finance et, par conséquent, l’économie subissent des
perturbations décennales. Ces défaillances passagères sont plus ou
moins conséquentes selon la coïncidence d’autres cycles plus
longs ou plus courts. Lorsque plusieurs cycles cessent leurs
croissances en même temps, il y a un risque d’effondrement
systémique. Le mécanisme des cycles économiques reste indéterminé
mais, compte tenu de leurs régularités et de leurs périodicités,
il est probable que le crédit soit le moteur. Le crédit qui a des
termes précis, et qui s’empile à n’en plus pouvoir. Le crédit
qui alimente la croissance en rendant solvable la demande latente. Le
crédit qui résout le vieux dilemme de la plus-value. Un crédit
accordé augmente la demande, un crédit remboursé réduit la
demande. Tant que les crédits accordés sont plus nombreux que les
crédits remboursés, il y a croissance de la demande. Quand la
proportion s’inverse, la demande se réduit.
Le
crédit alimente la demande d’investissements depuis toujours. Le
crédit à la consommation (mis à part la dette publique qui est
essentiellement consommée) est plus récent. Il a débuté dans les
années 1950 et ’60 pour quelques biens durables, voitures,
machines à laver, réfrigérateurs, télévisions, puis il s’est
répandu avec le numérique jusqu’à son omniprésence actuelle. Un
crédit accordé accroît la demande et son remboursement la réduit.
Mais un crédit investi est restitué (avec un profit qui couvre
l’intérêt du crédit), et son renouvellement maintient la demande
accrue. Le crédit investi et la demande d’investissements
augmentent au même rythme. Un crédit consommé n’est pas
restitué, et son renouvellement ne fait que le rembourser (un
remboursement qui doit inclure l’intérêt). Pour maintenir la
demande accrue, il faut un crédit supplémentaire. Ce qui fait que
le crédit consommé augmente plus vite que la demande de
consommation.
Sans
tenir compte de l’intérêt.
Investissements:
Crédit Demande
1
1
2
2
3
3
4
4
5
5
Etc.
Consommation:
Crédit Demande
1
1
3
2
6
3
10
4
15
5
Etc.
A
propos de la Chine, le Fond Monétaire International a remarqué
récemment qu’en 2008 il fallait 6,5 de crédit pour augmenter la
demande de 5, alors qu’en 2016 il en fallait 20 pour la même
augmentation (1). Il semble que ces chiffres sont pour les deux
demandes. Pour la seule consommation la progression serait plus
forte.
Le
crédit permet à la demande de dépasser les revenus et de réaliser
la plus-value. C’est une promesse de paiement futur qui doit se
renouvelé constamment. Et si le crédit cesse de se multiplier, la
demande d’investissements stagne et la consommation s’effondre.
Mais le crédit rapporte de l’intérêt, ce qui réduit l’effet
du crédit accru sur la demande. Et la part des nouveaux crédits
destinée à l’intérêt augmente avec la masse globale du crédit
en cours. Lorsque le total du crédit égale ou multiplie le produit
intérieur brut, le taux d’intérêt égale ou multiplie le même
pourcentage de ce produit intérieur brut. Chaque année un
pourcentage du produit intérieur brut, égale au taux d’intérêt,
est accordé en nouveaux crédits sans effet sur la demande. Quant à
l’investissement, son profit paye les intérêts, mais ce profit
est de la plus-value réalisée avec du crédit. Donc
l’investissement utilise aussi du crédit pour régler l’intérêt
de son crédit, sauf que ce sont ses clients qui doivent emprunter.
Le
crédit croit et multiplie jusqu’à n’en plus pouvoir, mais où
est sa limite? A quel moment et pour quelles raisons doit-il freiner
son expansion? La dernière crise du crédit, déclenchée par la
faillite de la banque Lehman, était la conséquence d’hypothèques
accordées à des clients dont la solvabilité était incertaine
(subprime), et qui ont fait défaut. Mais pourquoi cela s’est-il
produit en 2007, était-ce un hasard ou une date prédéterminée? Et
qu’en est-il du prochain chamboulement? Pour une croissance donnée
de la demande de consommation il faut accorder une quantité de
crédit de plus en plus grande. Une demande croissante maintient les
prix ou, si l’offre est limitée, les pousse à la hausse. Mais il
arrive un moment où la multiplication du crédit ne peut plus se
faire au rythme nécessaire. Alors la demande ralentie sa croissance
et finit par se contracter. Il y a surproduction, les prix chutent,
etc. ce processus ne présente pas de périodicité apparente, et son
trop plein est indéfinissable. Le cycle doit se produire ailleurs,
en amont.
En
tant que promesse de paiement futur, le crédit est de l’argent
virtuel, à venir. Mais l’argent, même matérialisé en pièces et
billets, n’est qu’un concept qui mesure la valeur. Ces deux
virtualités se distinguent par leurs temporalités. L’argent est
un paiement qui a eu lieu. Le crédit est un paiement qui aura lieu.
Ceux qui accordent le crédit, principalement les banques, sont tenus
à conserver une fraction de ce crédit en fonds propres, en
liquidités ou quasi-liquidités, obligations, devises, or. Ce sont
les quasi-liquidités qui ont posé problème en 2007. Leur vente
massive sur le marché aurait fait baisser leurs prix, et
mécaniquement hausser les taux d’intérêt des obligations. Une
hausse qui aurait coûté cher aux emprunteurs, notamment l’État.
Ce sont donc les banques centrales qui ont tout acheté au prix fort,
avec l’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Ces
injections d’argent ont relancé la circulation, mais que faire de
cette masse énorme d’obligations proches de leurs termes, les
revendre ou les encaisser à terme? Dans les deux cas de l’argent
sera retiré du marché. D’où la tergiversation de la banque
fédérale américaine, qui détient des obligations diverses d’une
valeur totale de quatre mille milliards de dollars. Plutôt attendre
qu’agir. La banque centrale européenne en est encore au stade des
achats, soixante milliards d’euros mensuels.
Il
y a dix ans l’incapacité de payer des grandes banques américaines
risquait de détruire la finance mondiale. Bernanke, président de la
banque fédérale américaine, avait étudié la crise de 1929 et lu
Galbraith (2). Il a réagi vite, en montrant que l’argent ne
manquait pas et qu’il pouvait en produire autant qu’il en
faudrait. Ces dix dernières années, les banques ont été
renflouées et le crédit est parti vers de nouveaux sommets. Mais
des maillons faibles persistent. Dans l’Union Européenne des
banques italiennes et espagnoles sont sous perfusion, et dans le
North American Free Trade Agreement ce sont des banques mexicaines.
Depuis
2007 une quantité phénoménale de crédit a été transformée en
argent. Des promesses de paiements futurs ont été réglées avant
terme par un tiers (la banque centrale), qui a le pouvoir de créer
de l’argent. Mais ces dettes n’ont pas été annulées, et tout
cet argent devra retourner à sa source. La pompe à fric se
transformera en aspirateur. Dix ans après la chute de la banque
Lehman, la finance mondiale est proche d’une nouvelle débâcle,
d’autant plus gigantesque que la China a rejoint le club des
surendettés. Dix ans, la durée du premier cycle répertorié, mène
à 2017 et les premières semaines d’octobre sont souvent propices
(l’année fiscale finit le 30 septembre Outre-Atlantique).
1.
Dans Counterpunch:
In
the wake of the financial crisis, Chinese authorities unleashed a
lending spree that more than quadrupled total debt to $28tn at the
end of 2016. The IMF issued a warning that China’s “credit
efficiency” had deteriorated sharply over the past decade, with
ever larger amounts of money needed to generate the same amount of
growth. “In 2008, new credit of about Rmb6.5tn (approx $1 trillion)
was needed to raise nominal GDP by Rmb5tn,” the fund said. “In
2016 it took Rmb20tn in new credit.”
2.
La Crise Économique de 1929 de J. K. Galbraith, peut être la
meilleure et sûrement la plus amusante analyse de l’événement.