Tuesday, September 19, 2017

Dix ans après

Les prévisionnistes se trompent souvent. L’avenir est incertain, et cette incertitude s’accroît lorsque le futur prédit est lointain. Il semble que les océans se réchauffent bien plus vite que prévu, notamment dans les régions polaires. Du coup les prédictions concernant la fin du siècle se produiront dans une ou deux décennies, et leur nature exacte reste imprécise. (Un dernier rapport repousse dans le temps la limite des 1,5°c, sans dire qu’un tel réchauffement est peut-être plus grave que prévu). A la décharge des climatologues il y a le fait qu’ils essayent de comprendre une modification sans précédents, qui résulte de la restitution à l’atmosphère du carbone fossile. Les économistes sont aussi confrontés à l’inhabituelle, avec des banques centrales qui rachètent des obligations en grandes quantités. Un afflux de dioxyde de carbone modifie la composition de l’atmosphère et la température des océans, tout comme un afflux d’argent liquide modifie les comportements du marché.

Des cycles économiques ont toujours existé, déjà dans la Bible les vaches maigres succédaient aux vaches grasses. Croissance et récession se suivent. Au XIXe siècle Marx a remarqué ces phénomènes répétitifs et Juglar les a étudiés, suivi par d’autres au XXe siècle (Kitchin, Kuznets, Kondratiev), avant que Schumpeter ne tente une synthèse en 1939. Concernant les cent cinquante dernières années, la périodicité d’environs dix ans semble la mieux documentée à cause de sa constance.

La finance et, par conséquent, l’économie subissent des perturbations décennales. Ces défaillances passagères sont plus ou moins conséquentes selon la coïncidence d’autres cycles plus longs ou plus courts. Lorsque plusieurs cycles cessent leurs croissances en même temps, il y a un risque d’effondrement systémique. Le mécanisme des cycles économiques reste indéterminé mais, compte tenu de leurs régularités et de leurs périodicités, il est probable que le crédit soit le moteur. Le crédit qui a des termes précis, et qui s’empile à n’en plus pouvoir. Le crédit qui alimente la croissance en rendant solvable la demande latente. Le crédit qui résout le vieux dilemme de la plus-value. Un crédit accordé augmente la demande, un crédit remboursé réduit la demande. Tant que les crédits accordés sont plus nombreux que les crédits remboursés, il y a croissance de la demande. Quand la proportion s’inverse, la demande se réduit.

Le crédit alimente la demande d’investissements depuis toujours. Le crédit à la consommation (mis à part la dette publique qui est essentiellement consommée) est plus récent. Il a débuté dans les années 1950 et ’60 pour quelques biens durables, voitures, machines à laver, réfrigérateurs, télévisions, puis il s’est répandu avec le numérique jusqu’à son omniprésence actuelle. Un crédit accordé accroît la demande et son remboursement la réduit. Mais un crédit investi est restitué (avec un profit qui couvre l’intérêt du crédit), et son renouvellement maintient la demande accrue. Le crédit investi et la demande d’investissements augmentent au même rythme. Un crédit consommé n’est pas restitué, et son renouvellement ne fait que le rembourser (un remboursement qui doit inclure l’intérêt). Pour maintenir la demande accrue, il faut un crédit supplémentaire. Ce qui fait que le crédit consommé augmente plus vite que la demande de consommation.
Sans tenir compte de l’intérêt.
Investissements: Crédit Demande
                                        1           1
                                        2           2
                                        3           3
                                        4           4
                                        5           5
                                        Etc.
Consommation: Crédit Demande
                                      1           1
                                      3           2
                                      6           3
                                   10           4
                                   15           5
                                     Etc.
A propos de la Chine, le Fond Monétaire International a remarqué récemment qu’en 2008 il fallait 6,5 de crédit pour augmenter la demande de 5, alors qu’en 2016 il en fallait 20 pour la même augmentation (1). Il semble que ces chiffres sont pour les deux demandes. Pour la seule consommation la progression serait plus forte.

Le crédit permet à la demande de dépasser les revenus et de réaliser la plus-value. C’est une promesse de paiement futur qui doit se renouvelé constamment. Et si le crédit cesse de se multiplier, la demande d’investissements stagne et la consommation s’effondre. Mais le crédit rapporte de l’intérêt, ce qui réduit l’effet du crédit accru sur la demande. Et la part des nouveaux crédits destinée à l’intérêt augmente avec la masse globale du crédit en cours. Lorsque le total du crédit égale ou multiplie le produit intérieur brut, le taux d’intérêt égale ou multiplie le même pourcentage de ce produit intérieur brut. Chaque année un pourcentage du produit intérieur brut, égale au taux d’intérêt, est accordé en nouveaux crédits sans effet sur la demande. Quant à l’investissement, son profit paye les intérêts, mais ce profit est de la plus-value réalisée avec du crédit. Donc l’investissement utilise aussi du crédit pour régler l’intérêt de son crédit, sauf que ce sont ses clients qui doivent emprunter.

Le crédit croit et multiplie jusqu’à n’en plus pouvoir, mais où est sa limite? A quel moment et pour quelles raisons doit-il freiner son expansion? La dernière crise du crédit, déclenchée par la faillite de la banque Lehman, était la conséquence d’hypothèques accordées à des clients dont la solvabilité était incertaine (subprime), et qui ont fait défaut. Mais pourquoi cela s’est-il produit en 2007, était-ce un hasard ou une date prédéterminée? Et qu’en est-il du prochain chamboulement? Pour une croissance donnée de la demande de consommation il faut accorder une quantité de crédit de plus en plus grande. Une demande croissante maintient les prix ou, si l’offre est limitée, les pousse à la hausse. Mais il arrive un moment où la multiplication du crédit ne peut plus se faire au rythme nécessaire. Alors la demande ralentie sa croissance et finit par se contracter. Il y a surproduction, les prix chutent, etc. ce processus ne présente pas de périodicité apparente, et son trop plein est indéfinissable. Le cycle doit se produire ailleurs, en amont.

En tant que promesse de paiement futur, le crédit est de l’argent virtuel, à venir. Mais l’argent, même matérialisé en pièces et billets, n’est qu’un concept qui mesure la valeur. Ces deux virtualités se distinguent par leurs temporalités. L’argent est un paiement qui a eu lieu. Le crédit est un paiement qui aura lieu. Ceux qui accordent le crédit, principalement les banques, sont tenus à conserver une fraction de ce crédit en fonds propres, en liquidités ou quasi-liquidités, obligations, devises, or. Ce sont les quasi-liquidités qui ont posé problème en 2007. Leur vente massive sur le marché aurait fait baisser leurs prix, et mécaniquement hausser les taux d’intérêt des obligations. Une hausse qui aurait coûté cher aux emprunteurs, notamment l’État. Ce sont donc les banques centrales qui ont tout acheté au prix fort, avec l’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Ces injections d’argent ont relancé la circulation, mais que faire de cette masse énorme d’obligations proches de leurs termes, les revendre ou les encaisser à terme? Dans les deux cas de l’argent sera retiré du marché. D’où la tergiversation de la banque fédérale américaine, qui détient des obligations diverses d’une valeur totale de quatre mille milliards de dollars. Plutôt attendre qu’agir. La banque centrale européenne en est encore au stade des achats, soixante milliards d’euros mensuels.

Il y a dix ans l’incapacité de payer des grandes banques américaines risquait de détruire la finance mondiale. Bernanke, président de la banque fédérale américaine, avait étudié la crise de 1929 et lu Galbraith (2). Il a réagi vite, en montrant que l’argent ne manquait pas et qu’il pouvait en produire autant qu’il en faudrait. Ces dix dernières années, les banques ont été renflouées et le crédit est parti vers de nouveaux sommets. Mais des maillons faibles persistent. Dans l’Union Européenne des banques italiennes et espagnoles sont sous perfusion, et dans le North American Free Trade Agreement ce sont des banques mexicaines.

Depuis 2007 une quantité phénoménale de crédit a été transformée en argent. Des promesses de paiements futurs ont été réglées avant terme par un tiers (la banque centrale), qui a le pouvoir de créer de l’argent. Mais ces dettes n’ont pas été annulées, et tout cet argent devra retourner à sa source. La pompe à fric se transformera en aspirateur. Dix ans après la chute de la banque Lehman, la finance mondiale est proche d’une nouvelle débâcle, d’autant plus gigantesque que la China a rejoint le club des surendettés. Dix ans, la durée du premier cycle répertorié, mène à 2017 et les premières semaines d’octobre sont souvent propices (l’année fiscale finit le 30 septembre Outre-Atlantique).

1. Dans Counterpunch:
In the wake of the financial crisis, Chinese authorities unleashed a lending spree that more than quadrupled total debt to $28tn at the end of 2016. The IMF issued a warning that China’s “credit efficiency” had deteriorated sharply over the past decade, with ever larger amounts of money needed to generate the same amount of growth. “In 2008, new credit of about Rmb6.5tn (approx $1 trillion) was needed to raise nominal GDP by Rmb5tn,” the fund said. In 2016 it took Rmb20tn in new credit.”
2. La Crise Économique de 1929 de J. K. Galbraith, peut être la meilleure et sûrement la plus amusante analyse de l’événement.

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