Saturday, April 29, 2017

Un système en faillite


Il existe deux formes d’échanges possibles entre argent et marchandise. Soit une marchandise est échangée pour de l’argent qui, à son tour, est échangé contre une autre marchandise. Soit de l’argent est échangé contre une marchandise qui, à son tour, est échangée pour de l’argent (1). Dans le premier cas, la marchandise vendue et celle achetée ne sont pas les mêmes, mais leurs valeurs mesurées par l’argent intermédiaire sont identiques. Dans le second cas, l’argent au départ et celui à l’arrivée sont de même nature, et le double échange n’a de sens que s’il y a une différence de valeur, si la marchandise intermédiaire se vend plus chère qu’elle n’a été achetée. Et le problème est de savoir d’où vient ce supplément de valeur. Si tout se vend plus cher qu’il n’a été acheté, il faut un afflux continu d’argent supplémentaire, des mines de métaux précieux, ou une planche à billet, ou du crédit et de la dette. Il faut une création monétaire suffisante pour combler la différence.

Les marchands font du profit et, en amont, les fabricants de marchandises en font aussi, les banquiers prennent de l’intérêt et les propriétaires fonciers du loyer. Tous obtiennent plus qu’ils n’ont payé, mais seul l’industriel l’obtient en nature, avec de la valeur ajoutée non rémunérée qui doit ensuite être vendue. Les autres, services inclus, obtiennent leurs suppléments en argent. Dans les deux cas le marché doit fournir plus qu’il ne reçoit, et une création monétaire est nécessaire. Une fois obtenu, le supplément de valeur doit être investi pour que le capital puisse s’accumuler, et il y a des investissements complexes et d’autres plus simples. Augmenter la production ou démarrer un nouveau produit sont des entreprises hasardeuses dont le succès dépend d’une demande future incertaine. Augmenter sa surface de vente ou proposer des articles différents sont aussi des paris qui peuvent être perdants. Accroître sa propriété foncière ou immobilière n’est pas sans risques puisque les prix peuvent fluctuer, même si les loyers sont rarement à la baisse. Et prêter plus d’argent peut mener à ce que l’emprunteur fasse défaut. Le rapport d’un investissement est toujours aléatoire, mais le prêt à intérêt est le plus simple et le plus facile à recouvrer.

La dette permet de réaliser les suppléments de valeur que sont les profits, les loyers et son propre taux d’usure. La dette paye les surplus que le capital obtient sur le marché. Et cette valeur est à son tour investie. La nature de ces nouveaux investissements dépend de la phase du cycle économique. En période d’expansion, l’investissement croissant augmente la production. En période de stagnation, il augmente la valeur boursière d’une production existante. Lorsque le marché ne grandit plus, ou à un rythme très ralenti, l’accumulation supplémentaire devient spéculative et gonfle le prix des actions, de l’immobilier et des obligations. Au lieu d’une accumulation quantitative, il y a une accumulation de valeur sur un capital existant. Cette hausse du prix des investissements réduit inévitablement leur rapport. Pour les obligations, la baisse est mécanique. Pour l’immobilier et le foncier, les loyers peuvent augmenter et maintenir le ratio avec la valeur accrue. Quant aux entreprises dont les actions sont en hausse, elles peuvent garder un dividende constant en réduisant leurs coûts. Mais les hausses de loyers et les baisses de salaires s’imposent mutuellement des limites, et le rapport des investissements se réduit finalement partout.

Lorsque la production stagne, le capital s’accumule dans des bulles spéculatives. Mais la production stagne faute de demande solvable, et la demande fait défaut parce que la dette a atteint un plafond. Une personne qui obtient un crédit dépense plus que ses revenues, et lors du remboursement elle dépensera moins que ses revenues. Pour compenser cette baise, du crédit devra être accordé à d’autres personnes qui augmenteront leurs dépenses. Pendant un temps les nouveaux crédits accordés dépassent les anciens crédits en cours de remboursement, et la demande croît. Puis arrive le moment où la balance s’inverse, où la dette générale ne peut plus augmenter assez vite pour compenser la masse des remboursements. Alors les mauvaises dettes (subprime) s’empilent, puisque les créditeurs sont moins regardants, ce qui mène à des défaillances en cascades. C’est le scénario de 2007/8, quand l’effondrement de la finance mondiale a été évité grâce au renflouement par les banques centrales avec des créations monétaires de plusieurs milliers de milliards. La monnaie des nations a sauvé la finance privée de ses pires turpitudes, mais la dette continue de croître et la demande reste atone.

Le capital privé, tel qu’il a été conçu pour extraire du marché un supplément de valeur, ne peut se passer d’un endettement sans cesse croissant. [Jusqu’au siècle dernier ce supplément a été obtenu principalement par le pillage colonial, devenu néo. (2)] La valeur d’une dette investie est restituée à terme. Celle d’une dette consommée ne l’est pas. Le capital privé investie ses suppléments de valeur, qui sont compensés par des dettes consommées, aussi bien par les ménages que par l’État. Mais cet ordre des choses n’est pas une fatalité et pourrait s’inverser. Alors, la dette serait investie et restituée à terme, tandis que le supplément de valeur serait distribué et consommé. La croissance de la production serait financée par des emprunts qui seraient une création monétaire durable. C’est-à-dire que, restitués sans profits ils ne payeraient pas d’intérêts, et seraient reconductibles pour permettre le renouvellement des investissements. Le capital ne serait plus une  accumulation de profits, mais une accumulation de dettes. Les profits privés seraient remplacés par un endettement commun. A présent que le capital privé est à l’agonie, son alternative communiste pourrait être envisagée.

1. Marx a développé cette idée avec la formulation M-A-M et A-M-A, voir:
Marxists internet archives
2. Ayant conclu que le capital ne pouvais pas s’accumuler sans apports extérieurs, Rosa Luxemburg a décrit l’étendu de ce pillage dans la dernière partie de «L’accumulation du Capital».

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