Wednesday, June 28, 2017

Une société en miettes


La classe possédante tient les leviers du pouvoir, la force et la finance, mais elle est peu nombreuse et doit diviser pour régner. Pendant longtemps elle a pu s’appuyer sur une classe intermédiaire de petits possédants, les sous-officiers du système sélectionnés par une instruction rudimentaire et idéologique. Les plus malins pouvaient même aspirer à de hautes fonctions. Le fossé de classe se situait entre le petit bourgeois possédant un peu et l’ouvrier n’ayant que sa force de travail. Il s’agissait d’éviter que les deux se trouvent des intérêts communs, et ne pas reproduire les erreurs de 1789 ou de 1871 quand les Communes avaient pris le pouvoir. La classe ouvrière elle-même devait être divisée par des courants politiques opposés et des syndicats antagonistes. Néanmoins, cette organisation du social n’était pas sans failles et devait être constamment renforcé par de la propagande nationaliste, provoquant des irruptions guerrières ou ethnico-raciales.

Le monde après 1945 était différent. Les armes nucléaires rendaient la guerre totale impraticable, consignant les combats à la périphérie des empires. Et l’accès aux études supérieures ne cessait de s’élargir d’une classe d’âge à la suivante, de même que l’accès à la propriété d’un logement. Avec une forte imposition des revenus et des successions, suite aux exigences de la guerre, certains théorisaient une société composée uniquement d’une classe moyenne. Mais ce rêve américain n’était qu’une façade qui cachait un monde du travail très âpre et ethniquement mélangé. L’ascension sociale et l’embourgeoisement des ouvriers, leur passage du col bleu au col blanc avait dû être compensé en bas de l’échelle. Pour les tâches spécialisées le capitalisme français avait recruté au Nord de la Méditerranée, pour les tâches plus simples au Sud. Et les autres pays développés, confrontés à la même situation, avaient aussi encouragé une immigration de main-d’œuvre pour les travaux ingrats. Suite aux remous de 1968, quelques bonnes âmes se préoccupèrent du sort des immigrés dans leurs bidons-villes et leurs foyers insalubres. Il y eut de l’alphabétisation, l’autorisation de faire venir leurs familles, l’accès aux logements sociaux et des naturalisations. Sous l’apparence d’intégration, le capital installait des minorités visibles aux derniers rangs de la société.

La classe possédante a interrompu la cohésion d’après-guerre entre classe moyenne et classe ouvrière, en créant une citoyenneté visiblement différente. L’avantage du capitalisme américain, avec ses divisions raciales originelles, s’était reproduit en Europe. Le travail se trouvait divisé par des barrières nouvelles. Les droits des minorités primaient sur la solidarité de classe traditionnelle. En même temps une autre fragmentation du travail était en cours. La production éparpillait sa sous-traitance et isolait les unités de production, l’emploi intérimaire se répandait, et l’auto-entreprise était favorisée. L’esprit du chacun pour soi l’a emporté. Le capital a réussi l’émiettement complet de son opposition et l’a réduite à l’impuissance. Mais saura-t-il résoudre l’urgence de ses contradictions internes, ou va-t-il s’effondrer sous le poids de la dette sans la moindre barricade?

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