Une exemplarité sans lendemains
Les
inégalités de propriété et de revenu ont existé, sans doute
depuis les débuts de la privatisation immobilière et foncière au
néolithique. Mais le degré de ces inégalités a continuellement
fluctué. Il semblerait qu’au cours des âges l’extrême
inégalité d’une société est un prélude à son effondrement.
Beaucoup se sont exprimés sur la perte de vertu d’une richesse
excessive qui peut tout acheter. Ils décrivent les décadences de la
moralité et les dévotions au dieu argent qui est sans éthique. Il
s’agit donc de mœurs et de politique. Lucas Chancel suggère une
interprétation originale et plus systémique. Lorsqu’il y a une
grande concentration de richesses chez quelques-uns, leur train de
vie dépasse toute mesure. Mais la haute sphère sociale sert de
modèle pour les classes moyennes qui cherchent à tout prix
d’augmenter leur consommation. Il résulte de ce mimétisme
dispendieux un pillage des ressources naturelles et humaines qui
n’est pas soutenable. Des archéologues ont étudié les restes de
sociétés disparues. Certains cas montrent des signes de violente
destruction, de razzia ou de conquête. D’autres semblent s’être
désintégrés sans interventions extérieures. L’ile de Pâques
vient à l’esprit, ainsi que les pueblos abandonnées du sud-ouest des États-Unis et les
cités perdues d’Amérique Centrale. Ces mondes disparus ont pu être les
victimes d’un exemple insoutenable donné par le sommet d’une
hiérarchie sociale excessive. Rome, après qu’Auguste ait remplacé
Cincinnatus comme modèle exemplaire, a succombé à quelque chose de
semblable, avec le tarissement des flux d’esclaves, de papyrus et
de blé, les légions qui recrutaient des mercenaires barbares et les
plébéiens embourgeoisés qui réclamaient du pain et des jeux en
rentiers. Plus récemment, la fin de l’Ancien Régime était en
partie la conséquence d’un excès de fortune de quelques-uns et de
la volonté mimétique des classes montantes. Quant au Second Empire
et la Belle Époque, le nivellement s’est fait par deux guerres
totales. A présent la richesse est à nouveau concentrée au sommet,
et le modèle est manifestement sans avenir. Sauf que cette fois-ci
il ne s’agit pas d’un pays ou d’un empire, voire d’un
continent, mais de la planète entière, océans compris.
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