Wednesday, November 07, 2012

Un détournement d’argent.

Les moyens de paiement en circulation sont soit de l’argent soit du crédit. L’argent est la valeur d’une production passée, et le crédit est la valeur d’une production future. Il s’agit de savoir si l’investissement accru doit se faire avec de l’argent ou avec du crédit, et de même pour la consommation accrue qui en découle. Tout en sachant qu’un investissement en plus produira dans le future, et que c’est la production passée qui est consommée. Ceci étant, il serait logique d’investir à crédit et de consommer avec de l’argent. Sauf que l’argent (la valeur d’une production passée) est mal répartie, et ceux qui bénéficient des revenus supérieurs épargnent et désirent investir pour en avoir plus (lorsqu’une entreprise accroît ses investissements avec des profits, elle agit de la même manière). Les fonds de pension et d’investissement, les banques et les assureurs collectent cette épargne et doivent la faire fructifier, en l’investissant ou en la prêtant. Du coup la logique est inversée, puisque c’est l’argent qui est investie et le crédit doit financer la consommation. La valeur passée est investie pour produire dans le future, et c’est la valeur future qui permet de consommer la production passée. 

Logique mise à part, cette inversion présente des inconvénients concrets. Un investissement réussi (hors les bulles et les faillites) rend sa valeur plus un peu de profit. Tandis que la valeur consommée est…consommée. Elle doit être produite à nouveau. Le crédit investi dans une production future est restitué lorsque cette production est vendue sur le marché. Le crédit pour consommer une production passée n’est pas restitué. Par ailleurs, le crédit est le moteur de la croissance, puisqu’il accroît à volonté la quantité des moyens de paiement en circulation. Lorsque le crédit est investi sa valeur est rendue, et il peut alors être renouvelé. Dans ce cas la quantité de crédit accordée augmente au même rythme que l’investissement et la valeur produite. Lorsque le crédit est consommé sa valeur n’est pas rendue, et son renouvellement ne fait que restituer le crédit précédent. Dans ce cas la quantité de crédit accordée augmente beaucoup plus vite que la valeur consommée. Pour que la valeur consommée puisse augmenter de 10, selon la progression 10, 20, 30, 40, 50, etc., le crédit (l’intérêt serait en plus) doit suivre la progression 10, 30, 50, 70, 90, 110, etc. Sa croissance est deux fois plus rapide. 

L’argent, le fruit d’une production passée, est l’intermédiaire dans l’échange de ces produits existants. Mais il est détourné de sa fonction par l’épargne, et se retrouve investit à profit ou prêté à intérêt. Un manque de liquidité pour les échanges de biens et de services qui est compensé par du crédit et, dans le cas des États, par le placement de l’épargne en bons du Trésor qui servent à garantir le crédit. Il en résulte un endettement des ménages et de l’État qui augment deux fois plus vite que le PIB (1), et mène inexorablement à la situation actuelle. Ce qu’elle a de particulier, par rapport au passé, c’est son ampleur. Les fumeux subprimes étaient des emprunts accordés à des personnes dont la solvabilité était plus que douteuse. Ainsi la progression du crédit à la consommation a largement dépassé tout ce qui a pu se faire précédemment, et le détournement d’argent a égalé cette démesure. Sauf que les richesses détournées sont bien moindres que les crédits accordés, et ne sont plus des liquidités. 

Ceux qui prétendent que cette crise peut se résoudre par des ajustements et de la réglementation se trompent ou mentent. Et, même si leur responsabilité est manifeste, l’expropriation des riches serait loin du compte. En fait il n’y a que l’inflation à deux chiffres qui peut résorber une telle masse de dettes. Selon l’expression de Keynes, il va falloir euthanasier les rentiers et, pour paraphraser Proudhon, concevoir une forme de propriété des moyens de production qui ne soit pas du vol. Un processus qui devra s’enclencher par une forte hausse des revenus les plus bas. Ce qui supposera, vu les programmes gouvernementaux actuels, une agitation sociale intense. 

(1) Si la consommation est exportée, comme le font la China, l’Allemagne et quelques autres, l’épargne peut être investie sans restreindre la demande. Mais il est évident que seuls quelques pays peuvent le faire, au détriment des autres qui doivent consommer sans produire. Voir aussi: The deceptive promise of growth.

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